Nous en parlions dans un précédent article, le « Pacte de refondation des urgences » était annoncé par le gouvernement en septembre 2019. Il comprend 12 mesures qui visent à remédier à la crise des urgences, notamment par l’organisation territoriale des soins. Il semblerait que ce plan s’enclenche. En effet, un premier arrêté, paru le 3 janvier 2020, fixe l’expérimentation d’un forfait de réorientation des patients aux urgences. Décryptage.

Réorienter les patients pour désengorger les services d’urgences

Cette proposition de forfait de réorientation des urgences, portée par le député et médecin Olivier Véran en octobre 2018, avait attiré les foudres de ses opposants. Agnès Buzyn était arrivée à la rescousse. Pour couper la poire en deux, c’est finalement une expérimentation qui a été actée pour le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2019.

Un an et deux mois plus tard, un arrêté fixe le cadre de cette expérimentation, paru le 3 janvier 2020 au Journal Officiel.
Sur la base du volontariat, une trentaine de services d’urgences pourront proposer une organisation pour réorienter les patients vers la ville

Le forfait est versé aux urgences. Il est fixé à 60€ pour une réorientation vers la médecine de ville. Il se substitue à tous les autres éléments de rémunération de l’hôpital.
Les médecins de ville ne pourront pas facturer une majoration d’urgence en plus de la consultation.

Cette expérimentation vise à désengorger les services d’urgences et ainsi diminuer la tension et la charge de travail qui y persistent. Ce qui n’est pas étonnant lorsqu’on regarde les chiffres : les passages aux urgences ont doublé en l’espace de 20 ans. Or, selon la DREES, en 2013, près d’un tiers d’entre eux auraient pu être pris en charge par des professionnels de santé de ville. L’objectif est donc de ralentir l’évolution constante du nombre de passages aux urgences.
Les urgences sont victimes de leur succès, mais il est aujourd’hui temps de repenser l’organisation, en fonction des besoins des patients et ceux des professionnels de santé.

Aux services d’urgences volontaires de s’emparer de cet outil, dès le 1er avril 2020. L’expérimentation pour le financement est autorisée pour une durée de 24 mois à compter de la prise en charge du premier patient.

Réorienter les patients pour allier médecine de ville et urgences hospitalières

« Plutôt que d’opposer médecine d’urgence hospitalière et soins non programmés de ville, l’idée est d’inciter les acteurs à travailler de concert pour proposer au patient un parcours de soin adapté à sa situation ».

Les liens entre professionnels de santé de premier recours et hôpitaux sont encore timides dans les territoires. L’expérimentation est l’occasion de mettre en place une coordination concrète entre ces deux acteurs. Ce travail collaboratif entre les services d’urgences et les médecins de ville peut être l’une des premières actions d’une organisation territoriale. Elle s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans la dynamique des CPTS.

Réorienter les patients pour qu’ils soient au cœur de leur parcours de soins

L’expérimentation vise à toucher 5 à 10% des patients dont l’état de santé ne nécessite pas une prise en charge au service des urgences. C’est à celui-ci que revient la tâche de juger le degré d’urgence, la priorité de la pathologie et si le médecin de ville peut en assurer la prise en charge.

L’expérimentation sera également réussie si un minimum de 70% des consultations réorientées sont honorées par les patients.

Pour le patient, c’est une attente et une situation stressante écourtées. Il bénéficie d’un parcours de soins mieux adapté qu’une prise en charge hospitalière systématique.
À noter qu’il n’aura pas à payer le reste à charge.

Cependant, le patient peut refuser la réorientation s’il le souhaite.

Réorienter les patients, oui mais quelle organisation adopter ?

Que prévoit le cahier des charges de l’expérimentation ?

  • L’établissement réalise une convention gérant les relations entre les services d’urgences et la médecine de ville.
  • Les modalités de réorientation doivent être définies : communication des plages de consultations, accès, informations échangées, etc.
  • Un processus concret de la réorientation est construit par les services d’urgences : questionnaire, formation, etc.
  • La décision de réorientation est prise par un médecin senior – chef de clinique assistant ou praticien hospitalier.
  • La réorientation est effective si le patient a bien un rendez-vous fixé, et synthétisé dans un bulletin de réorientation.

Cependant, cette organisation nécessite d’être simple et rapide, et construite en partenariat entre services d’urgences et médecine de ville. D’une part, pour qu’elle bénéficie de l’adhésion des soignants, hospitaliers comme de premier recours. D’autre part, afin qu’elle soit pérenne et non pas qu’elle reste au stade d’expérimentation. Aussi, elle ne doit pas déplacer la charge de travail des soignants des services d’urgences.

Cette expérimentation est une première proposition de l’État pour favoriser le désengorgement des urgences. Pour qu’elle ne soit pas une solution timide, il est essentiel que les établissements et les professionnels de santé de ville s’en emparent et travaillent de concert. À vous de mettre en place une organisation adaptée à vos territoires. Évitez cependant de réinventer la roue : des outils existent déjà. Ils seront la cerise sur la gâteau au service d’une organisation bien rôdée.